Page:Rochefort - Les fantômes blancs, 1923.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
LES FANTÔMES BLANCS

En Silence, la jeune fille suivit Marguerite qui l’installa, à table, à côté d’elle.

Lilian, qui avait cessé de dormir, était assise entre Paul et Odette et causait gentiment avec eux. Pendant le repas, M. Jordan raconta les incidents de son voyage ; il parla longuement de M. Murray et du jeune Harry, et il termina en disant que ce dernier viendrait passer ses vacances au Havre, et que, probablement, M. Murray l’accompagnerait. Lilly, qui n’avait pas perdu un mot de la conversation, dit alors à Odette :

— Tu l’aimeras mon frère Harry, il est si gentil, et l’oncle Murray est très bon. Quelle joie de les revoir tous deux !

— Et nous, que sommes-nous pour toi, petite Lilly ? demanda Paul.

L’enfant leva sur lui ses beaux yeux un peu étonnés :

— Toi ? dit-elle, mais tu seras mon grand frère, tout comme Harry, et je t’aimerai bien aussi !

— Alors, nous serons tes sœurs, chérie, dit Marguerite en embrassant l’enfant. Celle-ci battit des mains.

— Oh ! que je suis contente, s’écriait-elle, moi qui ai toujours rêvé d’avoir une sœur, j’en aurai deux maintenant. Nous prierons ensemble pour papa et maman, ajouta la petite soudain devenue sérieuse.

Pour cette bonne parole, Lilly fut embrassée par tout le monde, et l’on se sépara.


CHAPITRE IV
LE COMMENCEMENT D’UNE HAINE.


La vie reprit son cours habituel dans la maison de M. Jordan. Mme Merville venait tous les jours, et une grande intimité s’établit bientôt entre Lilian et Odette. Sous la surveillance de Maggy, les deux fillettes s’amusaient à toutes sortes de jeux, faisaient même de longues promenades dans les environs de la ville lorsque le temps le permettait. Paul était retourné au collège.

Ellen ayant manifesté le désir de travailler, Mme Jordan lui proposa de se charger de l’éducation des filles de Mme Merville.

— La santé chancelante de mon amie a retarder les études de Marguerite, dit Mme Jordan ; elle pourrait finir son cours avec vous et vous aider pour l’éducation des petites. Vos services seraient très bien rémunérés et nous resterions en famille, conclut l’excellente femme avec un sourire.

Un éclair de joie brilla dans les yeux d’Ellen.

— J’accepte votre proposition avec plaisir, madame, et j’espère que l’on sera content de moi.

Les leçons commencèrent le lendemain et se continuèrent jusqu’aux vacances, à la satisfaction de tous.

Mme Merville put se reposer et sa santé parut se raffermir. Puis vint le temps des vacances.

Paul Merville arriva le premier avec son père qui avait passé tout l’hiver en Italie sous prétexte d’affaires. En réalité, il s’amusait fort bien loin de sa famille et surtout de sa femme dont la pâle figure et les yeux souvent rougis semblaient le suivre comme un reproche vivant.

La splendide beauté d’Ellen parut faire une grande impression sur l’esprit du vieux viveur ; il l’accabla de compliments qu’elle reçut avec sa froideur ordinaire.

M. Murray et son neveu arrivèrent huit jours plus tard.

On s’imagine la joie de Lilian : elle sauta au cou des arrivants.

— On s’est donc ennuyée, petite sœur, dit Harry en lui rendant ses caresses, et, pourtant, tu es ici en belle compagnie, chère Lily ?

— Oh ! oui, dit l’enfant avec ferveur, tout le monde me gâte et j’ai de gentilles petites sœurs ; mais tu me manquais tant, Harry, et puis Paul non plus n’était pas là, ajouta-t-elle avec un signe amical au jeune Merville.

Les deux jeunes gens se serrèrent la main.

— C’est un triomphateur que je vous amène, dit M. Murray, après les compliments d’usage. Ce garçon-là a décroché tous les premiers prix de sa classe… Et le bon oncle paraissait radieux.

Une grande intimité s’établit bientôt entre Harry et les enfants de Mme Merville, au grand déplaisir d’Ellen, dont cette liaison dérangeait les projets d’avenir.

L’année suivante, Harry revint pour les vacances ; cette fois, il était seul : M. Murray, retenu par des affaires, ne devait venir que plus tard. Ellen, que la présence de son oncle intimidait un peu, profita de son absence pour essayer de capter la confiance de son cousin et se faire aimer de lui ; mais toutes ses prévenances et ses minauderies furent inutiles : Harry la connaissait trop, et puis, à côté de cette coquette et ambitieuse créature qu’était Mlle O’Reilly, la douceur et les qualités solides de Marguerite Merville avaient fait une grande impression sur l’esprit du jeune homme. Une parole de son oncle lui était restée en mémoire :

— Cette jeune fille est charmante. C’est la jeune femme que je souhaiterais pour toi, lorsque tu seras en âge de t’établir.

Aussi, malgré les regards irrités d’Ellen, Harry était-il devenu l’ami inséparable de Paul, et c’était des excursions en barque, de longues promenades en voiture auxquelles Marguerite prenait part lorsque la santé de sa mère lui permettait de la quitter. Les fillettes s’amusaient beaucoup de ces promenades et parvenaient souvent à entraîner Ellen, surtout lorsque M. Merville les accompagnait.

La rouée créature avait lu dans les yeux de cet homme une telle soumission et un tel désir de lui plaire qu’elle comptait s’en faire un allié, afin d’empêcher Harry d’épouser Marguerite. Comment s’y prendrait-elle ? Elle l’ignorait encore. Elle comptait sur les circonstances.

Mlle O’Reilly n’aimait pas son cousin, mais, sachant qu’il était l’héritier de son oncle, elle ne voyait que ce moyen pour reprendre dans le monde la situation brillante d’autrefois.

M. Murray arriva vers la mi-août, tout heureux de se retrouver en famille, car chacun lui fit fête ; même Mme Merville qui, malgré sa faiblesse, abandonna sa chaise longue pour venir lui souhaiter la bienvenue.

M. Murray s’inclina sur la main diaphane qui se tendait vers lui, et tout bas, murmura :

— Courage !

Mme Merville eut un pâle sourire.