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LES FANTÔMES BLANCS

— Bob et moi allons vous y conduire, dit Georges. Vous autres, ajouta-t-il, en s’adressant à ses hommes, continuez votre route. Avant une heure, je vous aurai rejoint.

Il aida Harry à monter sur son cheval, s’y installa lui-même, et précédés par l’Indien qui marchait en éclaireur, ils prirent la route du camp.

— Paul est-il au Canada ? demanda Harry.

— Non, ses affaires l’ont retenu en France.

— Et ses sœurs ? En avez-vous entendu parler ?

Georges, en peu de mots, mit le jeune officier au courant de tout ce qui concernait les sœurs de son ami.

— Ah ! la misérable ! dit Harry en serrant les poings, elle a bien pris ses précautions. Et le chevalier, est-il à Québec ?

— Non, il a passé l’hiver à Londres ; les jeunes filles n’ont rien à redouter de lui pour le présent.

— Et mon oncle Jordan ?

— On le dit très malade ; je n’ai pas osé me présenter chez lui, je suis obligé à tant de précautions. Mais nous voici arrivés, continua Georges en montrant le camp anglais qui se dessinait dans l’ombre. Adieu, et surtout silence sur mon nom. Je suis le capitaine Georges, et rien de plus.

— Comptez sur moi, et merci de votre généreux secours. Mais comme j’ai hâte que cette maudite guerre finisse. Si nous allions nous rencontrer sur un champ de bataille ?

— Le soldat et l’ami feront leur devoir, et à la garde de Dieu.

— Qui vive ? cria une sentinelle.

— Amis, répondit le jeune officier en s’avançant, toujours soutenu par Georges qui le remit aux mains du soldat en disant : Adieu.


CHAPITRE VII
RETOUR DE PAUL.


Pendant ce temps, que devenaient les deux orphelines ?

La surveillance de Mme Merville, ne s’était pas ralentie et leur position devenait de jour en jour plus intolérable.

Elles avaient su, par un court billet de Mme Bernier, que M. Georges servait dans l’armée canadienne et n’attendait que la fin des hostilités pour tenter de les délivrer de leur prison.

Mais, depuis de longs mois, la bonne hôtesse ne donnait plus signe de vie, et l’on avait même privé les jeunes filles de leur vieille Nanette que Mme Merville avait reléguée à la cuisine avec défense de mettre le pied dans la chambre de ces demoiselles. Une fille étrangère à la mine effrontée faisait le service des chambres et servait les repas.

« On désespère alors qu’on espère toujours », a dit un poète. À force d’attendre le retour de son frère, Marguerite avait fini par n’y plus croire.

Odette, plus jeune, et partant plus confiante, parlait sans cesse de Georges. Cet ami inconnu occupait une grande place dans les pensées de la jeune fille.

— Je voudrais bien le connaître, disait-elle un soir à Marguerite, je l’aimerais beaucoup ; puisqu’il ressemble à Paul, il doit être beau et bon comme lui.

Marguerite soupira profondément.

— Pauvre petite, ne t’exalte pas ainsi, dit-elle ; tu n’es pas raisonnable de te monter ainsi la tête pour un monsieur qui s’est peut-être moqué de nous.

Un flot de sang monta aux joues pâles d’Odette.

— Ah ! ma sœur, que c’est mal de parler ainsi. Non, ce monsieur ne s’est pas moqué de nous. Crois-moi, notre frère sera ici bientôt, j’en suis sûre, acheva-t-elle d’un ton inspiré, tandis que ses yeux brillaient d’un éclat fébrile.

Marguerite la regarda tristement ; cette exaltation l’effrayait. L’espoir ranimé dans ce cœur d’enfant lui donnait une force factice, mais si cet espoir venait à disparaître ? Que deviendrait-elle ? Aussi, Marguerite s’efforçait-elle de combattre cette idée fixe qui l’inquiétait pour le repos de sa sœur.

— Voyons, petite Odette, ne te fatigue pas, dit-elle doucement. Viens, il est neuf heures, c’est l’heure de dormir… Viens, chérie, nous allons prier pour notre cher absent.

Toutes deux s’agenouillèrent, mais à peine eurent-elles prié quelques minutes qu’un bruit de voix vint les faire tressaillir. Dans le corridor avoisinant leur chambre, on entendait la voix grêle de la servante qui semblait interdire le passage à quelqu’un.

— C’est qu’on vient, dit Odette. Oh ! mon Dieu ! si c’était Laverdie, on le dit de retour.

Marguerite tira un pistolet de sa poche.

— Qu’il vienne, dit-elle.

Odette, l’oreille tendue, écoutait toute frémissante.

— Marguerite, s’écria-t-elle tout à coup, cette voix, oh ! je la reconnais. C’est la voix de Paul. Et s’arrachant des mains qui voulaient la retenir, elle s’élança hors de la chambre et tomba dans les bras de son frère.

— Méchant, disait-elle au milieu de ses larmes, te voilà donc enfin, mais tu ne partiras plus ; nous sommes trop malheureuses lorsque tu n’es pas là.

Le jeune homme ne répondit pas ; Marguerite s’était approchée, il l’embrassa bien fort pour cacher son trouble.

— Pauvres enfants ! dit-il en les faisant asseoir près de lui. Combien j’avais hâte de vous voir et que le temps m’a semblé long. Mes affaires sont terminées et il nous reste une fortune. La guerre finie, j’achète une propriété voisine de celle de M. Jordan et nous reprendrons notre bonne vie d’autrefois. À présent, dites-moi tout ce que vous avez souffert.

Marguerite lui raconta tout. Paul était exaspéré.

— Quel monstre que cette femme, s’écria-t-il. Ah ! elle a voulu me faire passer pour mort ? Je lui prouverai que je suis bien vivant. Où est-elle cette coquine ?

— Elle est sortie et ne doit rentrer que très tard m’a dit la servante.

— Alors, je la verrai à mon retour de Montréal.

— Comment, tu vas nous quitter encore ? dit Odette. Tu veux donc me faire mourir de chagrin ? Et la pauvre petite se mit à pleurer.

Son frère la prit dans ses bras, et, par de douces paroles, il parvint à ramener le sourire sur ses lèvres.