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Page:Rochefort - Les fantômes blancs, 1923.djvu/63

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LES FANTÔMES BLANCS

fleuve… Le lendemain, Georges se rendit chez l’unique marchand que possédait la paroisse, et acheta ce qui manquait à son installation. Plusieurs personnes se trouvaient présentes aux emplettes du jeune homme. On le questionna. Il leur dit qu’il était docteur et qu’il voulait s’établir dans la paroisse.

— Vous êtes docteur ? s’écria une femme qui se trouvait là. J’ai un pauvre garçon bien malade ! Voulez-vous v’nir le voir ?

Georges suivit la femme qui demeurait tout près. Le fils était fort malade. Georges dit à la femme de venir chez lui chercher quelques remèdes. Alors une autre personne, qui tricotait dans un coin de la chambre, dit en s’avançant :

— C’est moi qui va avec le docteur.

C’était une personne d’environ 50 ans, à la figure douce et triste…

Le docteur lui remit les remèdes et lui donna en même temps les instructions nécessaires. Le soir, elle revint dire au docteur que M. le curé avait dit que le jeune homme était sauvé.

— À c’te heure qu’on a pu besoin d’moé, là-bas, dit-elle timidement, si vous vouliez, monsieur l’docteur, j’viendrais faire votre ménage.

— Mais je veux bien, dit Georges, il me faut une fille sérieuse pour prendre soin de la maison. Revenez demain.

C’est ainsi qu’Angèle Côté, c’était le nom de la vieille fille, devint la servante de Georges.

Celui-ci continua ses recherches pour retrouver les sœurs de Paul, sans se douter qu’elles étaient là à quelques pas de lui.

Il cherchait dans toutes las paroisses, à plusieurs lieues à la ronde, sans rencontrer aucun indice qui le mit sur la trace des fugitives. Bob non plus ne donnait pas de nouvelles. Le docteur Georges est devenu populaire, et l’on s’occupe beaucoup de lui.

Il est six heures du soir, et la nuit vient vite au mois de septembre. La pluie fouette les vitres, qui se couvrent d’une légère buée produite par la douce chaleur qui règne dans la pièce.

Angèle dispose la table pour le souper de Georges, et marmotte entre ses dents : Si ça du bon sens d’être malade quand y mouille comme ça. Sainte bénite ! Ce pauvre m’sieu, y va attraper l’rhume, ben sûr.

L’entrée de celui qui l’inquiétait vint interrompre la bonne vieille.

— Ah, Seigneur ! vous v’la enfin. Vite allez vous changer. Si ça une miette de bon sens de s’laisser mouiller comme ça !

Georges s’empressa d’obéir tout en riant de l’émoi d’Angèle.

Lorsqu’il redescendit, le souper l’attendait tout fumant sur la table. Le docteur, affamé par une longue course, y fit largement honneur, à la grande satisfaction de la servante.

Après le souper, Georges prit un livre et alla s’asseoir près du feu. Il lisait depuis quelques minutes lorsqu’on frappa à la porte.

Le docteur ouvrit, et sa surprise fut grande en reconnaissant le notaire Ménard, qu’il connaissait pour l’avoir vu chez un malade.

— Bonsoir docteur, je ne vous dérange pas ? demanda le triste sire avec un air protecteur.

— Bonsoir monsieur, asseyez-vous, dit Georges en avançant un siège.

— Je viens vous voir le premier, commença le notaire, pour vous donner l’exemple, car vous menez une véritable vie d’ermite. Vous devez vous ennuyer à mourir ; toujours ici.

— Vous êtes bien bon de vous occuper ainsi de moi, répondit ironiquement Georges. Mais je ne m’ennuie jamais, monsieur. Au retour de mes congés, j’aime à prendre place près du feu avec un de mes livres favoris. Les livres sont des amis qui ne trahissent pas.

— Soit, vous êtes philosophe et je voudrais vous ressembler. Voilà plus d’un an que je suis ici, et je ne puis me faire à cette vie monotone. Si ce n’était certaines… attaches… ajouta le sot, en clignant de l’œil. Mais chut… pas d’indiscrétion… À propos, on dit que vous avez de fort jolies voisines ?

— Vous devez être renseigné sur ce point mieux que moi, monsieur, dit froidement le docteur, que cet entretien agaçait. Vous fréquentez cette maison, je crois ?

— C’est vrai, je suis le notaire de Mme Nadeau. Mais je ne vois pas les jeunes filles. J’avais pensé que vous auriez pu les voir au jardin.

— Je les ai vues, mais toujours voilées. Or, je n’ai aucun attrait pour les gens qui se cachent.

— Et pourquoi supposez-vous qu’elles se cachent ?

Georges haussa les épaules.

— Si elles ne se cachent pas, pourquoi sont-elles voilées comme les femmes d’Orient ?

Ménard n’avait rien à répondre. Il se défiait de ce docteur établi si près des recluses, le prenant pour un émissaire de Murray. Devant l’indifférence du jeune homme, il fut complètement rassuré, ne soupçonnant pas que sa visite devait avoir un autre résultat que celui qu’il attendait. En effet, depuis la visite du notaire, Georges s’était demandé cent fois, si ses mystérieuses voisines n’étaient pas celles que Bob cherchait encore sur la côte nord. Il avait un moyen bien simple de s’en assurer, c’était de faire disparaître le collier de barbe qui cachait ses traits délicats. Ce fut l’affaire de quelques minutes.

— Si Paul leur a parlé de notre étrange ressemblance, se dit-il, elles me reconnaîtront.


CHAPITRE VIII
L’APPARITION.


Elles étaient bien seules les pauvres petites, depuis le départ d’Adeline. Le notaire avait bien placé près d’elles, une autre gardienne, mais celle-ci, sans éducation et d’un caractère grincheux, n’était qu’un ennui de plus. Mme Merville, prise toute entière par sa passion dégradante, ne s’occupait plus d’elles.

Un soir, Odette échappant à la surveillance de sa sœur vint s’asseoir seule sur le banc du jardin. Il faisait très doux sous les arbres que le soleil couchant colorait d’une teinte de sang.

Dans cette lumière, tamisée par l’ombre des arbres, Odette, vêtue de blanc, son idéale figure encadrée de boucles blondes, ressemblait à Orphélia, cette suave fiction que le poète anglais devait rêver plus tard.