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LES FANTÔMES BLANCS

Depuis quelques instants, Georges se promenait lentement à travers les allées pratiquées par Angèle, entre ses carrés de légumes et les plates-bandes, où poussaient » pèle-mêle, toutes les fleurs de la création.

Tout à coup, le jeune homme tressaillit ; un chant venait de se faire entendre sous le couvert des sapins. La voix disait le « Chant de l’Exilé » :

Là-bas, en France, au pays de mon âme,
Il est un coin de terre heureux ;
Là seulement le soleil a sa flamme,
Là seulement les jours sont bleus.
Ô mon pays ! ton souvenir m’assiège,
Je t’ai perdu, quand te retrouverais-je ?
Adieu, mère adorée, adieu…
Pour nous revoir, il faut bien prier Dieu ;
Demandons-lui qu’il nous protège.
Adieu, mère adorée, adieu…

Georges connaissait ce chant. Bien des fois, Paul et lui en avaient jeté les notes plaintives aux échos des vastes cours du collège. Quelle autre que les sœurs de son ami pouvait redire ce chant avec tant d’âme !

Georges se dit qu’il allait savoir, et ce fut le cœur un peu serré qu’il se dirigea vers le bouquet de sapins où devait se trouver la chanteuse.

Il écarta les branches, et l’idéale figure d’Odette apparut, nimbée de rose par les dernières lueurs du crépuscule.

— Mademoiselle, murmura le jeune homme, en avançant la tête de façon à se retrouver en pleine lumière. La jeune fille bondit, et un cri s’échappa de ses lèvres.

— Paul !… c’est Paul !… et elle s’affaissa sur le banc.

Le jeune homme, épouvanté du résultat de son apparition soudaine, franchit la haie, et souleva dans ses bras le corps inanimé de la pauvre petite.

Marguerite accourait, elle avait entendu le cri poussé par Odette.

— Que se passe-t-il ? et qui êtes-vous, monsieur ? demanda-t-elle en essayant d’enlever Odette aux bras nerveux qui l’étreignait.

— Regardez-moi, dit Georges.

Marguerite leva les yeux.

— Monsieur de Villarnay ! Ah ! je comprends l’émotion de ma sœur, à présent. Venez, nous allons la déposer sur son lit… il faudrait un médecin.

— Je suis le docteur Georges, votre voisin, dit tout bas le jeune homme.

On étendit la pauvre enfant sur son lit, et l’on essaya de la faire revenir à elle. Comme la syncope persistait, le docteur sortit pour chercher des remèdes.

Lorsqu’il revint, la malade commençait à reprendre l’usage de ses sens.

Georges, averti par un signe, se dissimula derrière un rideau.

— Marguerite ? appela la malade d’une voix faible.

— Je suis ici, petite sœur. Comment te trouves-tu ?

— Moi ?… je suis bien, mais pourquoi suis-je ici ? C’est au jardin que j’ai vu Paul. Viens Marguerite, il doit nous attendre…

Elle s’élança de son lit et voulut entraîner sa sœur, mais ses forces la trahirent et elle s’affaissa sur une chaise. Marguerite la prit dans ses bras.

— Tu as rêvé, ma chérie, dit-elle. Paul est au ciel, il y a plus d’un an déjà qu’il prie pour nous là-haut. Voyons, calme-toi, tu vas te rendre malade !

Mais l’enfant la repoussa :

— Pourquoi me dire que j’ai rêvé ! dit-elle avec violence. Il est là, et je vais le rejoindre.

Puis elle s’évanouit de nouveau dans les bras de sa sœur.

— Mon Dieu !… va-t-elle mourir ?… s’écria Marguerite.

Georges s’avança ; il était très pâle :

— Mademoiselle dit-il, je ne vois qu’un moyen de sauver la vie de votre sœur, et… peut-être sa raison… !

Il s’arrêta, n’osant poursuivre, tant ce projet lui paraissait étrange. La jeune fille le regardait, anxieuse.

— Laissons-lui son illusion, dit Georges, elle croit que je suis son frère. Eh ! bien, pour elle je serai Paul.

— Oui, mais le jour où elle apprendra la vérité, elle souffrira plus encore.

— Soit, mais à mesure que la mémoire se réveillera chez elle, nous la préparerons à apprendre cette vérité. Et puis, ajouta le jeune homme en montrant le ciel, il y a Dieu.

Pour toute réponse, Marguerite l’entraîna près du lit où Odette reprenait conscience de ce qui se passait autour d’elle. Son regard, incertain, après avoir parcouru la chambre, s’arrêta sur le visage du docteur qui la regardait avec émotion.

Elle lui tendit les bras.

— Paul !… oh ! je savais bien, moi, que je n’avais pas rêvé. Avec un respect attendri, Georges posa ses lèvres sur le front de l’enfant, radieuse.

— Oui, je suis là ; ne t’agites pas chérie, et laisses-nous te soigner, Marguerite et moi.

— Et pour commencer, tu vas boire ceci, dit Marguerite en présentant à la malade une potion calmante que le docteur venait d’apporter.

Odette but docilement, et, avec un geste de lassitude, elle renversa sa tête sur les oreillers.

— Je vais dormir, dit-elle, restez tous deux près de moi…

Elle ferma les yeux et s’endormit, le sourire aux lèvres. Alors, Georges de Villarnay prit congé de Marguerite en disant « Courage, je crois que nous la guérirons ».

Le lendemain, Mme Merville fit venir Marguerite dans sa chambre. En toute autre circonstance Marguerite eut décliné l’invitation, mais après ce qui s’était passé la veille, elle crut prudent de s’assurer si Mme Merville en était informée.

Celle-ci accueillit la jeune fille avec un sourire.

— Je suis un peu souffrante ce matin, dit-elle, sans cela, je serais moi-même allée chez vous. Comment va Odette ?

— Odette est tout à fait remise, je vous remercie, répondit froidement la jeune fille.

— Je vois que vous me gardez rancune, et cependant, je n’ai agi que dans votre intérêt.

Marguerite haussa les épaules.