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LES FANTÔMES BLANCS

— Si vous n’aviez que cela à me dire, madame, vous pouviez vous dispenser de me déranger. J’espère que vous n’en prendrez pas l’habitude.

— Vous êtes dure, ma chère, je voulais vous parler du docteur.

— Il soigne Odette, voilà tout.

— Alors, vous n’aviez jamais entendu parler de lui ?

— Que signifie cet interrogatoire ? Prenez garde, madame, nous ne sommes plus seules, notre réclusion est finie.

Marguerite sortit sur ces mots et rejoignit Odette, qui, les yeux brillants, le teint animé, causait avec Georges. La jeune fille fit part au docteur de son entrevue avec sa belle-mère.

— Elle m’a reconnu, dit celui-ci, et maintenant elle va s’entendre avec Ménard pour nous jouer quelque tour de sa façon. À propos, savez-vous pourquoi ce notaire se trouve l’allié de Mme Merville ?

— Je crois qu’il a reçu de Laverdie la mission de nous surveiller. Le chevalier est trop imposteur lui-même, pour avoir confiance à quelqu’un. En nous donnant deux gardiens, il K voulait doubler Ses chances de réussite.

— Et cette servante, à figure de brute, que je vois rôder autour de vous ?

— C’est une espionne, sans doute ; peut-être pire, mais je suis sur mes gardes.

— Vous êtes une vaillante, mais vous n’êtes plus seules. Aussitôt qu’Odette pourra supporter la voiture, je vous conduirai à Québec. Je vais écrire à notre ami Harry aujourd’hui même.

Les jours qui suivirent furent des jours de paix pour les trois jeunes gens. Odette paraissait transformée. Elle prenait part à la conversation avec une vivacité qui faisait espérer un retour complet de mémoire. Ménard et sa complice semblaient les avoir oubliés. C’était le calme qui précède la tempête.


CHAPITRE IX


UNE VISITE NOCTURNE.


Pendant ce temps, Harry O’Reilly, retenu par son service à Québec, attendait avec impatience les lettres de Georges, espérant toujours y trouver quelques renseignements sur les demoiselles Merville. Mais les lettres du jeune docteur disait rien… toujours rien…

Harry commençait à craindre qu’Ellen n’eut entraîner ses belles-filles hors du Canada, lorsqu’il reçut le billet suivant :

« Cher ami,

Les sœurs de Paul sont retrouvées. Je serai avec elles à Québec dimanche. Prévenez M. Jordan.

Georges. »

Il était neuf heures du soir, et le jeune aide-de-camp, assis auprès de sa table de travail, relisait pour la dixième fois le billet de son ami.

Une immense joie remplissait le cœur du jeune homme. Ainsi, il la reverrait sa jolie Marguerite et cette Odette qu’il appelait sa petite sœur. Comme on allait les choyer pour leur faire oublier leurs souffrances. Dans trois jours elles seraient sous le toit hospitalier de son oncle, où ce monstre de Laverdie ne viendrait pas les chercher.

Harry était là dans ses rêves, lorsqu’un soldat vint lui dire qu’un matelot demandait à lui parler.

— Faites-le entrer, dit le jeune aide-de-camp.

Le soldat sortit et revint au bout de quelques minutes en compagnie d’un vieux matelot.

— Que désirez-vous, mon ami ? demanda le jeune homme.

— Vous entretenir sans témoin, mon officier.

Harry fit un signe et le soldat disparut.

— Nous sommes seuls maintenant. Parlez mon ami ; d’abord dites-moi votre nom, je ne vous connais pas !

— Mon nom, dit l’homme en haussant les épaules. Il est enseveli quelque part avec mes rêves de jeunesse. Je suis le vieux Tape-à-l’œil pour les camarades. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Vous intéressez-vous toujours à cette jeune fille que vous arrachâtes l’automne dernier des mains de Laverdie ?

— Pourquoi me demandez-vous cela ?

— Parce que cette jeune, fille court un grand danger.

— Un danger ?… Elle… Marguerite… vous savez donc où elle est ?

— Le brick de Kerbanec est en ce moment à l’Isle-aux-Coudres. Après demain, lui et Laverdie seront à St-Thomas, où, se trouve la jeune fille. Avec l’aide d’un complice qui demeure dans le village, ils vont l’enlever et faire voile immédiatement pour les Antilles. Une fois là, de gré ou de force, Laverdie prétend épouser la demoiselle.

Le jeune homme était atteré ; cependant il voulait douter encore.

— De qui tenez-vous ces détails ?

— De source certaine ; je suis l’un des matelots de Kerbarec.

— Et vous le trahissez ?

— J’avais promis que vous seriez averti si le chevalier revenait au Canada : je remplis ma promesse. Je ne veux pas que ce misérable fasse d’autres victimes.

— Vous avez eu à vous plaindre de lui ?

Une flamme passa dans l’œil unique du vieux marin.

— Cet homme m’a tout pris, mon officier ! Avenir, famille, jeunesse, par deux fois on m’a laissé pour mort par ses ordres. Depuis deux ans que je vis sur le même vaisseau que lui. J’aurais pu le tuer vingt fois. Mais malgré ma promiscuité avec des bandits, j’ai gardé intactes les croyances de ma jeunesse, et le meurtre me répugne… Si étrange que cela puisse paraître, je n’ai jamais pris part aux crimes de l’équipage. Je fais le service du bord, je soigne les malades et les blessés, et Kerbarec ne m’en demande pas davantage. La vengeance que je veux tirer de Laverdie, c’est d’arracher de ses mains d’innocentes victimes. J’espère que cette vengeance ne sera pas condamné par Dieu.

— Vous avez un noble cœur, mon ami. Comment pourrais-je vous aider ?

— Après demain soir, soyez à St-Thomas avec une voiture. La maison où se trouve la jeune fille est située au nord du cimetière. Vous cacherez votre voiture sous les arbres. Soyez