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Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/175

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cace, ne s’était exercée qu’à voix basse, dans le demi-jour des boutiques, grossissant pourtant de son murmure le concert haineux de la calomnie. Il y avait aussi mes anciens camarades, groupés autour du grand Frédéric Lambert, qui les dépassait de la tête. Et ce troupeau suivait, avec des mines contrites, des chuchotements, s’interrogeant les uns les autres, mettant en commun leurs renseignements sur lesquels leur incorrigible imagination brodait déjà ses fioritures :

— Et la comtesse ? Elle n’est pas là ?

— Elle est malade : elle a la fièvre, elle divague, elle dit que son fils va revenir.

— On dit qu’elle s’est jetée sur le corps, au moment de la mise en bière, et qu’elle criait : « Laissez-le-moi ! Je veux le garder ! »

Là encore, la curiosité primait la pitié ; pourtant, quelques-uns murmurèrent, d’un ton de compassion sincère :

— La pauvre mère !

Pour moi, qui connaissais le détail vrai des dernières scènes, je n’aurais eu garde de les raconter à aucun d’entre eux, tant ils me semblaient indignes qu’on leur parlât de leur adorable victime. En réalité, les choses ne s’étaient point passées comme se le représentait leur imagination banale. Point de cris, point de violence, point de vaine révolte : rien qu’un morne