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Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/18

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plantée de marronniers, où flanent de rares promeneurs. C’est la tranquillité des villes mortes, l’industrie horlogère, qui occupe et enrichit la population, ne faisant aucun bruit. Pas d’usine, pas de cheminées : les gens travaillent, chacun chez soi, dans la retraite et le silence. Un austère paysage, qui, cependant, ne manque pas d’une beauté grave et triste, encadre la petite ville : au premier plan, sur la plus proche colline, des ruines informes suggèrent l’idée des guerres locales qui troublèrent autrefois la paix de ces montagnes ; plus loin, moutonnent de vastes horizons, aux lignes arrondies, boisés de sapins, semés de clairières où les moissons ondulent, où pointent les clochers des villages ; puis, des sommets plus hauts, très noirs, arrêtent les regards : on se sent séparé du reste du monde, ou plutôt, on se sent dans un petit monde bien à part, qui doit avoir ses lois spéciales, sa gravitation particulière.

Philippe était venu me chercher à la station voisine dans un cabriolet de médecin de campagne, avec Naine, sa jument gris pommelé, qui nous emmena chez lui, d’un bon trot rapide, en un quart d’heure. La route, excellente, filait entre des sapins, avec, de place en place, des tas de planches ou des arbres coupés déposés sur le bord. Nous passâmes devant une scierie, dont le grincement fit dresser les