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Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/192

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ce temps-là, je fus stupéfait de la facilité avec laquelle les hommes oublient et se pardonnent à eux-mêmes le mal qu’ils ont causé. Tu t’imagines peut-être que, éclairés sur la vérité des faits, convaincus de la parfaite innocence de la comtesse Micheline, pénétrés du sentiment de leur erreur et de ses tragiques résultats, les bonnes gens des Pleiges prirent le sac et la cendre, et connurent le mal du remords ? Détrompe-toi, mon bon ami ! Ils oublièrent, tout simplement. Oui, ils oublièrent leurs soupçons, leurs commérages, leur injustice ; ils oublièrent la légende qu’ils avaient fabriquée ; et, pour mieux l’oublier sans doute, ils en inventèrent une autre pièce à pièce, celle qui a cours aujourd’hui. Tu auras l’occasion de rencontrer quelques-uns de nos notables. Parle-leur de la comtesse Micheline. Ils te répondront à peu près : « C’était un ange ! mais elle a été bien malheureuse. Elle a perdu un mari qu’elle adorait, et qui s’est suicidé dans ses bras, parce qu’il souffrait de la plus affreuse des maladies ; elle a perdu son fils unique, enlevé par la même maladie que son père. Elle-même est morte de chagrin ; et sa mort a mis en deuil toute la ville, qui la révérait dans sa douleur comme une sainte. » Le curé actuel accentuera : « Oui, une sainte, te dira-t-il. Mon prédécesseur, qui l’a beaucoup con-