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Page:Rod - L’Innocente, 1897.djvu/54

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Et, comme mon cousin Jacques figura de nouveau parmi les hôtes les plus assidus du château, l’on recommença à rapprocher son nom de celui de ma marraine, avec plus de prudence que jamais et plus de perfidie.

Connais-tu cette façon particulière qu’a la province de calomnier ? Une façon discrète, pateline, d’air innocent. On ne se compromet pas : on lance sa flèche et l’on s’enfuit. Par exemple, on prononce le nom de la femme à qui l’on en veut, puis celui de l’homme qui doit justifier les soupçons. Rien de plus. On ne sourit même pas : on se tait, on se regarde, et l’infamie est commise :

— J’ai rencontré cet après-midi la comtesse Micheline, qui faisait des emplettes.

— Moi aussi. Un instant après, j’ai rencontré M. Nattier… Pas le docteur, l’autre, son neveu.

Cela est clair ; des naïfs n’y verraient pas malice.

Deux ou trois ou quatre années passèrent ainsi : en province, tu sais, les drames se développent avec lenteur. L’orage s’amassait, sans qu’aucun des intéressés s’en doutât. Mlle Éléonore, qui ne manquait pas une occasion d’ajouter quelque perfidie aux insinuations dont sa « chère nièce » était l’objet, l’accablait de démonstrations affectueuses. M. Ma-