Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/205

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souvent peu discrètes, M. Pierre Loti a-t-il eu les bonnes fortunes dont il se vante ! Les gentilles amoureuses, jaunes ou tatouées, en chapeaux de fleurs, ont-elles existé plus ou moins ? On en pourrait douter, car leur humanité est bien légère pour avoir été vécue.

Est-ce le même cas pour les petites Rarahu et les Mmes Chrysanthème, gracieuses fictions, semble-t-il plutôt, d’un romancier romanesque qui invente des silhouettes colorées sur des écrans de papier. Cela n’a d’importance qu’au point de vue de la sincérité de l’écrivain, difficile à ausculter, car il se recroqueville vite, parle bas et peu, parait contraint dans notre civilisation rectiligne et cache une foncière timidité par un désir d’étonner, comme lorsqu’il répondit un soir, à dîner, chez son ami M. Alph. Daudet lui demandant s’il était d’une famille de marins : « Oui, j’ai eu un oncle mangé sur le radeau de la Méduse. »

Mieux que l’hérédité, c’est le voyage qui l’a formé, et c’est de lui qu’il a tiré aussi l’idée dominante qui enveloppe son œuvre : la pensée de la mort. Avec plus de raison que les autres hommes, les marins peuvent dire : « Nous vivons dans la mort ! » Leur vie est faite de périls,