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Rodin a, pour voir la Nature, des yeux que nous n’avons pas, et que les artistes ordinaires n’ont pas non plus. C’est le propre des maîtres d’apercevoir des analogies qui échappent aux autres.

Le poète, lui, découvre les rapports mystérieux des idées, les analogies dans les images, et il les exprime par le rythme. Ce rythme est le même dans tout l’Univers. Le vent dans les arbres, la mer sur les grèves, le battement d’un sein de femme, vont selon le même rythme.

L’art, de son côté, a pour objet les analogies dans les formes et les exprime par le modelé. Or M. Rodin découvrit cette loi que — comme le rythme est le même dans tout l’Univers, — il y a aussi dans la Nature intime le même modelé. C’est-à-dire une semblable alternance de creux et de bosses, qu’il s’agisse du rocher, du caillou, de l’arbre, de l’animal, de l’homme. La lumière y est intermittente, joue, se distribue pareillement. Et ce modelé uniforme de la Nature n’est jamais égal. Si on prend un fruit, par exemple et qu’on le fasse tourner sur lui-même, comme la terre tourne, on remarque que chaque profil diffère. Cette grande loi de la Nature, M. Rodin l’a appliquée à toutes ses figures, qui en tirent leur suprême accent de vie. On comprend ainsi certains de ses torses humains, pareils à des ceps noueux, à des écorces d’arbres. Et cette figure extraordinaire, qui doit servir pour son