Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/287

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monument de Victor Hugo au Panthéon, et sera une Muse surplomblant, au vol horizontal : un buste et un ventre de femme, rien que cela ; mais c’est assez pour suggérer tout le paysage de la chair, comme un site choisi par un peintre suggère tout un pays et toute la nature. Étonnant morceau qui offre, lui aussi, cette loi du même modelé de toute la Nature. Modelé violent que celui-ci, tumultueux et minutieux, chair ravinée comme une grève, corps bossué comme une roche, avec des creux et des reliefs accumulés. Le modelé des autres sculpteurs, auprès de celui-là apparaît un modelé primaire, se contentant, avec ses surfaces presque lisses, de donner l’aspect approximatif des corps, et plutôt la musculature générale que la vérité de la chair, impressionnable comme une eau qui sans cesse se crispe et change de place en place.

Si M. Rodin a pu découvrir cette grande loi de la Nature (inaperçue des autres hommes, même des artistes plus inférieurs) qu’elle offre partout le même modelé, c’est qu’on peut dire d’un artiste comme lui qu’il vit de plain-pied avec la Nature. Il s’égale à elle. Il est lui-même une force de la Nature ; et ceci pourrait bien être la définition la plus exacte de tout homme de génie. Dans ce cas, le génie de M. Rodin est évident. Il crée comme la Nature. D’abord il agit selon ses procédés puisqu’il est d’accord