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des « Paradis artificiels ». Et Baudelaire a consacré a les décrire les deux notices qu’on connaît et qui sont parmi le plus profond et le plus neuf de son œuvre ; celle du Haschisch et celle de l’Opium, à propos duquel avaient paru en Angleterre les extraordinaires confessions d’un mangeur d’opium par Thomas de Quincey, que Baudelaire traduisit en les analysant et développant.

Ces stupéfiants, voilà le moyen parfait et immédiat de fuir la vie, de satisfaire le goût naturel de l’infini, d’être semblable à Dieu. C’est la plus redoutable des offres du Tentateur moderne. Dans cette ivresse étrange, tout s’anoblit, s’idéalise, s’emparadise. On ne perd pas la conscience de soi. C’est une conscience déformée, sublimée. C’est le réel agrandi, divinisé, exagéré jusqu’aux confins du possible, jusqu’à la ligne d’horizon du ciel et de la mer. Est-ce encore l’eau, ou est-ce déjà le ciel ? Est-ce encore la réalité, ou est-ce déjà le rêve ?

Or c’était tentant surtout pour le poète pauvre, épris de dandysme, subtil esthète, qui tout de suite ainsi se trouvait transporté dans le luxe. Il y a un poème des Fleurs du mal : « Rêve parisien », qui raconte cette ivresse en chambre.

La notation est unique dans les Fleurs du mal, où nulle part il n’est fait une allusion directe au haschisch ou aux visions de l’opium. En cela