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Page:Rodenbach - L’Élite, 1899.djvu/36

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Quel contraste avec l’existence féerique d’un Hugo qui, après soixante années d’acclamations, est porté en triomphe dans la mort comme un héros de Wagner ! C’est que Hugo, Lamartine, presque tous les poètes français du siècle, eurent une nature telle qu’ils ont pu véritablement épouser la foule.

Ses passions, ses tristesses, ses joies, ses croyances, — politique, patrie, amour, tous les grands lieux communs de l’humanité, ils les ont partagés. Chacun d’eux fut vraiment un « écho sonore » au centre de tout.

Quant à Baudelaire, il est exceptionnel : il représente l’élite en face du nombre ; en regard des faits, il est la loi ; il conçoit l’ordre de l’Univers et méprise le désordre des événements. Lui est incapable à jamais de pouvoir épouser la foule. Il est si différent d’elle, si différent des autres, — et toujours égal à lui-même ! Il est l’être dépareillé. Il est unique de son espèce. Il est le grand célibataire, ainsi qu’il est dit dans Maldoror de l’Océan. Mais n’est-ce pas la gloire de l’Océan de n’avoir point d’équivalent ? — comme c’est aussi la gloire de Dieu. Dieu est celui qui est le seul. Et l’on pourrait dire la même chose de l’homme de génie.