Page:Rodenbach - La Jeunesse blanche, 1913.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


L’EAU QUI PARLE


 
Quand le poète las s’est enivré de vin
Pour échapper un soir à son tourment divin,
Et qu’il va seul, le long des quais couverts de câbles,
Écouter l’eau qui parle en humides vocables,
Le fleuve s’allongeant est comme un corps épris
De femme qui le veut pour amant à tout prix ;
Car l’eau sombre, où le ciel étoilé se reflète,
Semble avoir fait pour lui sa nocturne toilette,
Enroulant à son cou les astres par milliers
Comme d’étincelants et somptueux colliers ;
Et les rayons de lune ouverts en chevelure
Épandent sur son lit leur vivante brûlure
Où le croissant s’enfonce ainsi qu’un peigne d’or,
Et telle elle apparaît dans le soir qui s’endort,