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VERS D’AMOUR



V



Mon cœur avait en lui les douleurs de Venise
Une ville déchue, une ville qui meurt,
Une ville où le soir lentement s’éternise
La voix d’or du passé dont s’éteint la rumeur,

Une ville de rêve où des canaux prolongent
Leur chemin de silence et de froide douleur
Entre les quais de pierre abandonnés qui songent
Et mettent dans l’eau sombre un peu de leur pâleur.

Mais voici que, soudain, la cité de mon Âme
À reconquis son faste et son orgueil ancien
Quand vous avez relui, faits d’amour et de flamme,
Soleil roux, toison s’or, drapeau vénitien !

Et mes rêves, baignés du feu des girandoles,
Ont pincé le luth sous la lune en halo,
Et j’ai senti le soir des fuites de gondoles
Qui passaient sur mon cœur étoilé comme l’eau !