Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/136

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Les toits rouges au loin sur une mer de brume
Détachent leurs îlots dans le brouillard frileux,
Et moi je me souviens, le cœur plein d’amertume,
Du temps où je voyais le ciel dans ses yeux bleus.

Je me rappelle tout : les belles jeunes filles
Qui dansaient au Kursaal dans leurs robes d’été,
Les barques qui formaient de joyeuses flottilles,
Et les coins de la dune où nous avons été ;

Les enfants qui faisaient des forts à coups de pelle,
Les ânes qui trottaient sur le sable mouvant,
La messe, le dimanche, à la vieille chapelle,
Et la mer se pâmant sous les baisers du vent !

Tout cela reparait dans mon esprit morose :
Ainsi le lendemain d’un soir de carnaval
On croit revoir passer tout un cortège rose
De masques s’enlaçant pour le galop final.

Sans doute qu’aujourd’hui la digue est morne et vide ;
Car le soleil n’a plus que de pâles reflets ;
Comme des écheveaux emmêlés qu’on dévide
Les pêcheurs sur leur barque étendent leurs filets !…