Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/19

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avec les vôtres ; l’art, s’il est lui-même ; l’art, — les artistes créateurs de vie passionnée, de vie simple, créateurs de vie ! Ils frapperont les rochers, l’eau jaillira, et les petites tortues croiront une heure encore à l’éternité de l’eau du Ouadi.


Si le pessimisme avait raison, ne serait-il point digne d’un art supérieur de donner à l’homme des visions plus belles que nos destinées ? Si tu maudis les Destins qui gouvernent le monde pour l’injustice et la laideur de la vie sans but, alors ne collabore point avec eux, n’ajoute point à nos tourments en créant à leur exemple ; aie une conception d’artiste plus haute que l’œuvre de l’aveugle nécessité ; si la femme est laide, invente Aphrodite ; si l’homme est vil, imagine des héros, ou bien laisse-moi te mépriser plus que tu ne méprises la nécessité, reine du monde, toi qui étant la conscience humaine imites servilement ce que tu prétends condamner !


Par dessus le réel, déroulons le rêve, libre, vaste et beau comme un ciel bleu apparu entre les toits obscurs d’une impasse.


Le rêve ! qu’est cela ? comment définir ce qui est à naître ! ce qui doit se renouveler sans fin ! N’est-ce pas l’invention dans le rêve qui est le génie poétique ?


— Mais le siècle est positif ! le siècle est scientifique ! — Après ?… Chaque époque a sa marque, sa