Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/30

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Pendant les tristes mois d’hiver on l’a laissée
Seule et désespérée en son isolement ;
À peine si parfois quelque humble fiancée
Venait lui réclamer le corps de son amant.

Mais aujourd’hui les gens de mer vont à la pêche
Joyeux, chantant, sans craindre encor les ouragans,
Et partout sur la plage on court, on se dépêche,
Puisque voici venir les couples élégants.

Où marchaient seulement des pêcheurs de crevettes,
Où les mousses du port s’asseyaient vers le soir,
Les dames vont passer dans de fraîches toilettes
Et les enfants coquets des riches vont s’asseoir.

Où l’air salé des flots enivrait au passage
Les marins aux profils énergiques et bruns,
Les odeurs de mouchoir et les fleurs de corsage
Vont faire en s’unissant la gamme des parfums.

Comme des nids d’amour, les villas sont rouvertes :
Un piano dans l’ombre y chante, captivant ;
Des plantes dans un coin mêlent leurs feuilles vertes
Sous les rideaux gonflés comme une voile au vent.