Page:Rodenbach - La Mer élégante, 1881.djvu/31

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C’est un nouveau décor ! c’est la mer élégante !
Mais si le thème est neuf, l’air est vieux et connu ;
Comme en ville on se gêne, on se farde, on se gante,
Et pas plus que la main le cœur n’y est à nu.

Car dans cette atmosphère intense, large et saine,
La femme reste encor coquette et l’homme fier :
Ce sont mêmes acteurs, mais sur une autre scène,
Et c’est la comédie aujourd’hui comme hier.

Tout cela c’est petit, tout cela c’est frivole
Près de la grande mer qui pleure incessamment
Et dont les durs sanglots comme ceux d’une folle
Montent vers le soleil, son glorieux amant !…

Mais voici qu’un beau jour toutes ces jeunes filles
Jasant sous l’éventail, sans souci, sans désir,
Sentiront que leur cœur caché sous leurs mantilles
A besoin de tendresse autant que de plaisir ;

Qu’en dépit du satin, de l’or, de la dentelle
Et de ces vains hochets que le luxe assembla,
La Nature a vaincu, la Nature immortelle,
Et que la fleur d’amour vaut mieux que tout cela.