Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/103

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désagrégée. Il l’avait faite momie, dans les bandelettes de ses eaux inertes, de ses régulières fumées ; avec des dorures, aux façades, de la polychromie, comme de l’or et des onguents aux ongles, à la denture ; et le lis de Memling en travers du cadavre, comme l’ancien lotus sur les vierges d’Égypte.

C’est grâce à lui que Bruges était ainsi triomphante, et belle de sa mort parée. Telle, elle serait éternelle, non moins que les momies elles-mêmes, d’une éternité funéraire qui n’a plus rien de triste, puisque la mort y est devenue œuvre d’art.

Borluut s’exalta ; il plana dans son rêve solitaire. Qu’est-ce que les mécomptes d’amour, les caprices d’une femme, les chagrins que tout à l’heure encore il traînait avec lui, en montant dans la tour ?

— Tout cela, se dit-il, ne vaut pas la peine…

Il songea qu’il ne fallait pas faire attention à ces choses futiles et temporaires, quand on a entrepris une œuvre comme la sienne, encore à parfaire, mais dont l’avenir parlerait.

L’orgueil l’enivra de son vin rouge. Il se vit grand, dominant la ville, comme si la tour était son juste socle.

À ce moment, l’heure fixée pour le carillon venait de sonner. Borluut s’assit devant le clavier, ébranla les pédales. Aussitôt, la tour chanta. Elle chanta la joie, la fierté de Borluut qui s’était reconquis. Dans le simple roseau, le berger primitif, le premier musicien raconta son bonheur d’aimer, sa peine