Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/124

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heure après, le crépuscule envahissait déjà la vaste pièce.

Jours si vite abrégés, en ces hivers du Nord ! Godelieve et Farazyn étaient toujours assis à la même place. Aucun d’eux n’avait bougé. Barbe comprit de suite que nul rapprochement n’avait été possible. Leurs paroles ne s’étaient pas jointes un instant. Ils avaient conversé des deux côtés de la table, comme des deux côtés d’un fleuve qu’on ne traversera pas. Le soir venait, prématuré, à cause des rideaux amplement drapés aux fenêtres. De l’ombre descendit dans la chambre, descendit en eux. Fin du jour et fin de l’amour !…

On ne songea pas à allumer des lampes, comme s’il valait mieux cette demi-obscurité, afin de lui imputer le demi-silence d’une conversation qui suivait un désastre et ne pouvait plus se reprendre.

Bientôt Farazyn se leva, prit congé, l’air un peu confus, désarçonné de cette belle assurance qui sans cesse piaffait.

Dès qu’il fut parti, Barbe s’élança vers Godelieve, l’interpella :

— Tu as refusé ?

— Quoi ?

— Ne fais pas la cachottière ! Tu as refusé. Je m’en doutais !

Godelieve ne parut pas s’émouvoir. Elle répondit de sa voix très douce :