Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/125

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— Je ne tiens pas à me marier.

Puis elle ajouta, avec une minime nuance de reproche, tout au plus un peu d’ombre, le reflet d’un nuage, sur sa voix de lumière :

— D’ailleurs, vous auriez mieux fait de me prévenir, de me consulter à l’avance.

Aussitôt Barbe ne déguisa plus son mécontentement.

Godelieve hésita à répondre. Ce n’est qu’au bout d’un moment qu’elle déclara :

— J’aime mieux rester avec notre père !

Elle avait eu des italiques dans la voix. Barbe, avec son humeur ombrageuse, y vit une ironie ou une attaque. Tout de suite, elle s’irrita.

— Tu es absurde ! Notre père ! Tu veux insinuer sans doute que toi seule tu l’aimes ? Oui ! de cette façon-là, avec tes fadeurs !

La conversation s’envenimait. Godelieve ne parla plus. Joris essaya d’intervenir, d’intercaler des paroles pacifiantes. Barbe se retourna contre lui :

— Est-ce que tu vas me donner tort maintenant ? Et c’est toi qui les as invités !

Barbe, nerveuse, se leva, s’assit, arpenta la chambre. Elle parla toute seule, épanchant des plaintes, des griefs, le regret du beau projet avorté, des reproches et des emportements contre Joris, contre Godelieve, qui se taisaient comme s’ils étaient devenus du même avis.

Elle se tourna vers Joris :