Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/131

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doute de l’état de Barbe. Pourtant, naguère, il rêvait tant d’avoir un jour une famille nombreuse. Il se rappelait, quand ils furent fiancés, avoir conduit Barbe au Musée devant le grand triptyque de Memling où figure sainte Barbe, sa patronne, et s’être ému devant les donateurs, entourés de leurs onze enfants, famille patriarcale, visages juxtaposés et ressemblants. Lui-même s’était imaginé un foyer comme celui de ce Guillaume Moreel, bourgmestre de Bruges, que Memling avait peint.

Maintenant le beau rêve aboutissait à la femme sans amour et à la maison sans enfants.

Borluut, au surplus, ne voyait guère de monde, peu liant, ennuyé des conversations banales et des fréquentations quelconques. Sa vieille maison, au Dyver, avec sa façade noircie, ses hautes fenêtres à petits carreaux, en des châssis de bois, d’un verre verdâtre, couleur du canal qui est en face, reposait somnolente, close, les stores baissés, comme la demeure d’un absent. À peine sonnait-on ; c’était un fournisseur ou un client. Barbe n’avait aucune amie. La sonnette faisait un bruit bref, comme pour rendre plus sensible et vaste l’immuable tranquillité. Puis aussitôt le corridor redevenait un chemin de silence.

Borluut n’allait même plus aux réunions du lundi soir chez l’antiquaire. C’est une dernière distraction qui lui manqua. Elles avaient cessé d’elles-mêmes pour ainsi dire, chacun espaçant ses présences, renonçant. Bartholomeus s’était cloîtré, afin de se