Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/140

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Aujourd’hui Bruges s’offrait, d’une blancheur unanime. Les vieux toits, parterres rouges, étaient devenus des jardins blancs et en pente. Aux vitres, la gelée avait mis des écrans de dentelle. Les clochers officiaient en camails d’hermine.

Obit d’une vierge ! Deuil blanc, couronnes en perles de givre, et ce doux poêle de la neige ! Il semblait que la ville s’était rapetissée. On l’aurait crue plus grande. C’est à cause de sa toilette de mousseline longue. Elle était morte ainsi. Quoi de plus triste qu’une Première Communiante qui meurt, le jour même, avec sa robe toute neuve ? Petite mariée de la mort… Bruges était celle-là…

Borluut la regardait, roide et immaculée. Quand il fallut, à l’heure coutumière, éveiller le carillon, il trembla, n’osa qu’à peine. Quelle hymne assez chaste, quel motet de béguinage assez fluide, pour moduler une si douce mort ? Il aventura des sourdines, de mols arpèges, des musiques à demi dépliées, un effeuillement d’accords, une chute de plumes sans tache, des pelletées de neige, eût-on dit, sur un cercueil déjà descendu dans de la neige.

Tout fut conforme : le carillon venait comme d’au-delà de la vie, cependant que la ville semblait déjà entrée dans l’Éternité.