Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/148

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sûres, ses plus chères amies. Qu’allaient-elles devenir sans lui ? Barbe, au contraire, s’en agaça ; leur bruit lui tourmentait les nerfs. Elle demanda à Joris de les faire taire, d’arrêter ces grands balanciers qui balançaient aussi son cœur, ces rouages qui déchiraient sans cesse quelque chose en elle.

La maison devint tout à fait muette. On aurait dit qu’elle était déjà morte, avant son maître.

Celui-ci, vers le soir, empira. Son souffle rabota le silence à coups plus espacés, plus profonds. Les petites veines violettes s’élargirent. Toute la face était congestionnée ; la sueur sans cesse sourdait à grosses gouttes qui lui mettaient au front comme une couronne de larmes. Le corps vibrait, par minutes, de grandes secousses. Le vieillard, encore solide, luttait contre la mort ; il avait allongé les jambes, les arc-boutait au pied du lit, pour mieux se défendre.

Tout à coup la bataille sembla finir.

Il y eut une accalmie, une embellie ; les petites veines pâlirent, le visage s’imprégna de sérénité, d’un commencement de sourire, d’une sorte de lumière surnaturelle comme si le front était touché d’un matin inconnu. Pleins de stupeur, les assistants virent le malade bouger, reprendre vie, eût-on dit.

Distinctement, cette fois, et avec un visage de béatitude, de surabondante joie, ils l’entendirent proférer à deux reprises : « Elles ont sonné… Elles ont sonné ! »

Puis se soulevant un peu, il étendit les bras, s’y appuyant, ainsi que dans les canaux de Bruges s’ap-