Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/149

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puie sur ses ailes le cygne qui veut sortir de l’eau quand il va mourir ; et le vieillard trépassa — comme on s’envole — tout blanc !

Un moment après, Barbe tomba, raide et livide, en proie à une crise de nerfs. Joris dut l’emporter, l’étendre sur un lit où elle resta longtemps sans force. Quand il rentra dans la chambre mortuaire, il regarda son vieil ami, noble cœur, premier apôtre de la Cause flamande. Il reposait, l’air d’un élu… Si peu humain déjà ! C’était le marbre de lui-même ; un buste copiant ce qu’il avait été, avec la transfiguration de l’art, la beauté d’une matière plus pure. Godelieve lui avait fait sa dernière toilette rapidement, et à peine, pour ne pas le déranger, ni lui faire du mal. Elle priait à genoux, baignée de larmes silencieuses, au pied du lit.

Quand elle vit Joris, elle l’interrogea :

— Barbe avait raison. Vous avez entendu ses dernières paroles ? Il l’a répété encore : « Elles ont sonné… »

— Oui ! il aura pensé à ses horloges ; c’était le rêve de sa vie. Il aura cru qu’enfin elles sonnaient ensemble.

Godelieve retomba à sa prière et à ses pleurs, prise de remords d’avoir causé devant le mort, même pour parler de lui…

Il faisait une chaleur accablante à ces six heures d’après-midi de l’été, en cette chambre que l’odeur de l’agonie et des potions affadissait. Il fallait l’aérer. Joris ouvrit la fenêtre qui donnait sur le jardin et