Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/169

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mort ! Joris comprenait maintenant sa douceur répandue, son zèle au foyer, et cette vigilance à tout pallier, ce regard qui calme, cette voix qui édulcore. Elle était, dans sa maison agitée, une part de bon silence. Elle cherchait à faire heureux chez lui. Peut-être qu’elle n’était venue habiter avec eux que dans ce but, par tendresse continuée pour lui, afin de lui être une protection et un réconfort, comme une sœur du moins, une Sœur de charité qui le panserait chaque fois qu’il serait blessé et en sang. Et dire qu’elle aurait pu être sa femme ! Il ne cessait d’évoquer la possibilité perdue, l’existence enchantée qu’il aurait eue. Lui-même se répétait le soupir nostalgique de Godelieve : « Si Dieu avait voulu ! »

Désormais, quand il ascensionna dans la tour, il n’eut plus l’impression de s’avancer dans la mort. La phrase d’éclaircie l’accompagnait. Elle marcha devant lui, gravissant une à une les marches obscures. Elle le devançait, courait d’une haleine jusqu’au sommet, puis redescendait à sa rencontre, grossie par le vent, haletante d’avoir couru. Joris n’était plus seul. Il montait avec la phrase aimante qui était la voix de Godelieve. Et il répondait à cette voix. Il parlait tout haut, contait ses espoirs, abolissait le passé mauvais, conversait durant des heures avec elle. Maintenant le beffroi ne lui faisait plus peur ; il n’en voulait plus à la tour d’avoir quitté la vie.

Au contraire, il y emmenait la vie avec lui. La voix de Godelieve, c’était Godelieve elle-même. Elle