Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/194

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laisser leurs âmes correspondre. Et cela durait depuis longtemps, depuis toujours, depuis les lointaines années où leurs âmes s’étaient fiancées.

Un soir, Joris fut plus ému, plus tendre. Il avait suivi Godelieve dans le corridor, dans les escaliers, tandis qu’elle s’acheminait vers sa chambre. Au seuil, il atermoya le bonsoir, lui prit les mains, appuya son visage au sien. Il évoquait leur passé : Godelieve l’avait aimé tout de suite et lui, au fond, n’aima jamais qu’elle. Ce fut la faute de la Destinée. Mais la Destinée aujourd’hui cède, les rend l’un à l’autre. Vont-ils maintenant lutter contre eux-mêmes !

Godelieve, si pure qu’elle fût, n’était pas innocente. Elle devina, comprit la tendre supplique de Joris, toute frémissante aussi de ses paroles, de ses caresses, de son émoi, des feux, redevenus juvéniles, de son visage. En même temps, elle s’alarma du grand mystère qu’elle ignorait, intercéda d’une voix déjà changée :

— Qu’est-ce qui manque à notre bonheur ?

Joris mangeait les mots sur ses lèvres.

Godelieve murmura encore :

— Ç’aurait été si bon de continuer ainsi.

Joris lui dit :

— Qui le saura ?

— Mais Dieu ! répondit brusquement Godelieve.

Au même moment, elle se dégagea, effrayée, soudain reconquise à elle-même. Dieu ! Ce mot avait sonné dans son désarroi, dans le commencement de