Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/205

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vent. Or, il l’absolvait avec de tendres paroles, de si doux noms : « Ma chère amie, ma chère petite sœur. » Les jours où elle ne le voyait pas lui parurent vides et longs. Quand il arrivait en classe ou à l’église, elle se sentait devenir rouge, puis toute pâle. Le soir, au dortoir, l’hiver, elle pensait encore à lui et, sur les vitres gelées, écrivait son nom, qui avait l’air d’y naître dans de la dentelle.

N’était-ce pas déjà l’amour ?

Dans le même temps, eut lieu la retraite annuelle, les sermons terrifiants sur le péché et l’Enfer. Elle ne douta pas que c’était pour elle que Dieu s’inquiétait, envoyait le prédicateur aux peintures de soufre et de feu. Car elle se trouvait en état de péché mortel, avait glissé au sacrilège d’aimer un prêtre.

Joris écoutait la curieuse histoire, naïve comme une légende. Il revoyait Godelieve enfant, avec ses cheveux de miel en natte sur le dos, l’air d’une petite victime, dupe de sa douceur et de son besoin de consoler, s’acheminant à quel dénouement ?

— J’étais terrifiée, continua-t-elle, et, dès le lendemain, j’allai m’agenouiller au confessionnal de celui que j’aimais encore — car je l’aimais, malgré les anathèmes de la retraite, et malgré Dieu ! même à cette minute suprême où il fallait m’en accuser.

« — Mon père, j’ai un grand péché sur la conscience que je n’ose pas vous dire.

« — Pourquoi ? fit-il. À moi, vous pouvez tout avouer.