Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/207

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« Il me congédia vite, en me disant de venir moins souvent à confesse. »

Godelieve conclut : « Tu vois ! Il n’y a pas de quoi être jaloux. C’est mon seul amour avant toi. Toi aussi, je t’ai aimé parce que tu avais l’air triste. Mais tu es beau, toi, tu seras grand ! »

Joris souriait, s’attendrissait de la douce histoire et de cette vocation de consolatrice, toute précoce, chez Godelieve. Pour lui, elle fit plus que le consoler ; elle lui abolit toute peine, tout souvenir amer, tout désenchantement. Elle lui rendit l’amour de la vie. Il n’eut plus à regretter qu’à peine la méprise de leurs deux cœurs qui si longtemps se cherchèrent et souffrirent d’être seuls. Ils s’étaient trouvés, et l’avenir s’allongeait devant eux. Tout le passé avait disparu. Dans l’enivrement premier, ils allèrent jusqu’à oublier que l’absence de Barbe serait brève, et qu’elle devait revenir, s’interposer entre eux, mettre sur chacun une ombre froide comme celle de toute une tour. Leur bonheur allait à l’infini ! Ils vivaient comme dans l’Éternité, une Éternité où ils ne seraient qu’à deux !

Cela les mena même à des imprudences, en cette ville provinciale où tout est épié, à des promenades isolées ou tardives, que vite on commenta.

Eux ne soupçonnaient rien.

Le soir, ils aimaient se rendre au Minnewater, le doux étang qui somnole dans la banlieue verte, contigu à l’enclos du Béguinage. N’est-ce pas le Lac