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Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/213

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désigna le Minnewater, le site cher à leurs promenades du soir, qui apparaissait si exigu, si rectiligne. Ce lac était comme un miroir de pauvre, un humble reposoir, avec tous ses nénuphars en ex-voto… Quoi ! c’était là ? L’amour tient si peu de place ?

Il lui indiqua aussi, presque en face d’eux, leur vieille maison du Dyver, noircie et blasonnée derrière le rideau des arbres du quai. Elle était toute réduite, allongeant devant elle une ombre raccourcie, maigre et tourmentée comme un bijou de fer. Pourtant les détails subsistaient. Ils comptèrent les fenêtres, soudain troublés, se regardant, les yeux incendiés, les lèvres prêtes. Ils venaient de s’arrêter ensemble à la croisée de la chambre inoubliable. Par cette communion permanente des amants, ils avaient tous deux, à la même minute, pensé la même chose. Aussitôt, tous les souvenirs montèrent à la fois d’en bas jusqu’à eux. Les vitres de la chambre nuptiale étincelèrent, transparentes et complices. Ce fut l’évocation brûlante de leur première nuit, de leurs premiers baisers.

Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Et il sembla à Godelieve que la ville reculait, diminuait encore, cessait d’être, tandis que, à deux, enlacés, ils montaient plus haut, n’étaient plus dans la tour, se fondaient sous des caresses de vent et de nuées, touchaient le ciel…

Cependant l’heure du carillon était venue. Joris s’installa devant le clavier. Godelieve écouta, d’abord