Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/222

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L’acte même d’écrire est comme un acte d’amour. Il y a contact. Il y a échange, aussi. On ne sait si les mots sortent de l’encre sur la page, ou s’ils naissent de la page elle-même, dans laquelle ils dormaient, et que l’encre ne fasse que les colorer.

Pour elle aussi, tout ce qu’elle transcrivait, en ses lettres interminables, n’était que ce qu’elle lisait dans son âme. Mais qui avait écrit tout cela dans son âme ? Est-ce l’amour de Joris ? Ou bien celui-ci n’avait-il fait que rendre visible ce qui y était depuis toujours ?

Quand elle avait ainsi rempli de longs feuillets, c’était, le lendemain, tout un prudent manège pour trouver Joris seul, un moment, et les lui remettre. Joris répondait. Godelieve écrivait encore, presque quotidiennement.

Un soir, Barbe, que l’insomnie tourmentait, se leva, arpenta la maison, remarqua — si tard dans la nuit ! — de la lumière sous la porte de Godelieve. Elle entra et la surprit écrivant, très troublée aussitôt de sa brusque apparition.

Barbe, les jours suivants, demeura perplexe. On n’écrit qu’à un absent. Godelieve n’écrirait pas à Joris puisqu’elle le voit et lui parle sans cesse. Ainsi, ceux qui n’aiment pas ou qui n’aiment plus ne comprennent guère les raffinements, les nuances subtiles et frêles des vrais amants. Joie de nouer entre eux des fils invisibles, afin de se sentir toujours tenus par quelque côté de leur âme ! Bonheur