Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/221

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Et ils sentaient qu’ils avaient tant à se dire !

— Si nous nous écrivions ? proposa un jour Godelieve.

Elle avait toujours eu ce besoin d’écrire, de s’épancher sur le papier, de prendre conscience d’elle-même sur cette certitude blanche. Tout enfant déjà, elle adressait des lettres à Jésus, dans le temps où elle était une petite pensionnaire, et se prit de passion pour l’Homme-Dieu dont la statue régnait dans la chapelle, avec un beau visage aux cheveux partagés et de fines mains montrant, en sa poitrine, un Sacré-Cœur enflammé d’amour. Elle lui écrivait, le soir, dans la salle d’étude, et, à la première sortie hebdomadaire des élèves, jetait à la dérobée, dans une boîte aux lettres, sa missive sous enveloppe portant pour adresse : « Monsieur Jésus ». Elle était convaincue que cela lui porterait bonheur, l’aiderait à obtenir ce qu’elle demandait et peut-être parviendrait à son destinataire dans le ciel.

Maintenant, elle transmit à Joris, interminablement, tout ce qu’elle ne pouvait pas lui dire, tout ce qui, sans cesse, par le fait de vivre face à face, montait du fond d’elle pour lui et qu’il lui fallait refouler. Le soir, rentrée dans sa chambre, elle écrivait, jusque tard dans la nuit, parfois. C’était vraiment comme si elle se fût trouvée, alors, seule avec lui. Elle l’avait reconquis. Elle lui parlait sur le papier. Elle ne faisait que répondre à ce qu’il chuchotait derrière son épaule, dans l’obscurité.