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Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/224

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X


Godelieve, depuis que sa sœur était revenue, commençait à se sentir moins heureuse. Et non seulement parce que sa présence rompit l’intimité, la permanente extase, leur possession sans contrainte. Auparavant, de par les grâces d’état et le don d’illusion des amants, ils avaient pu se croire seuls dans l’univers, oublier ce qui est, recréer la vie selon leur rêve. Maintenant la réalité s’imposait. Ils devaient se cacher, comme d’un crime, de cet amour qu’ils auraient voulu épancher dans la mer et dans l’air. Le cœur du pauvre être humain est une coupe peu profonde, qui déborde du moindre bonheur.

Longtemps ils s’excusèrent à leurs propres yeux en invoquant le tort d’une destinée qui s’égara et enfin s’était rétablie conformément à eux-mêmes. Il n’y avait lieu à aucun scrupule de Godelieve, puisque Barbe, auparavant, lui subtilisa l’amour de Joris. C’est elle-même qui fut sa fiancée première et éternelle. À cause de Barbe, les mariés de Dieu s’étaient