Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/229

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Maintenant le présage s’accomplissait. Godelieve doutait encore ; peut-être qu’elle n’était que malade, faisait erreur et que sa faute n’avait pas vraiment fructifié en elle ; elle espéra ; se repentit, pria, courut s’ensevelir, durant des heures, dans les églises, n’attendit plus que du ciel la fin de son angoisse. Il était possible encore qu’elle se trompât. Mais toujours, tandis qu’elle levait les yeux vers les autels, lui apparaissait une Vierge tenant dans ses bras un enfant. Ce fut une obsession, comme une allégorie inévitable où elle se vit elle-même, portant bientôt son péché devenu chair. Elle finit par attacher un sens superstitieux à ces Madones. Elle se disait, à elle-même : « Si la première que je rencontre en sortant, aujourd’hui, a les mains jointes, c’est la bonne réponse de l’oracle et la preuve que toute ma crainte est fausse. Si, au contraire, la Madone tient un Jésus dans ses bras, c’est la fin de mon espoir et la confirmation certaine de ma propre maternité. »

Godelieve alla revoir la Vierge du coin de la rue des Corroyeurs-Noirs, celle, en son armoire de verre, pour qui elle fit jadis un long voile de dentelle ; hélas ! elle portait un Enfant Jésus ; de même pour la statue de la Vierge, dominant la console à feuillages et têtes de bélier, sur la façade des Halles ; de même pour la Vierge de Michel-Ange, qui est en l’église de Saint-Sauveur. À peine quelques Vierges compensaient les mauvais pressentiments accumulés, offrant des bras vides ; mais, au-dessous, alors, ré-