Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/242

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à cette minute où toute la vie lui échappait, où il fallait songer à se recommencer un avenir. Godelieve se déroba, plus effrayée de ce qui allait advenir que de ce qui advint. Et, reculée à l’autre bout de la pièce, elle dit d’une voix vague, comme en rêve, comme déjà du bord de l’absence :

— Vous, Joris, il faut que vous restiez. C’est ici votre vie, votre œuvre et votre gloire !

Puis elle prononça d’un accent raffermi :

— Moi, je vais me retirer demain au béguinage de Dixmude…

Joris sentit bien que c’était l’irrévocable, et l’exécution brusquée d’un plan qu’elle méditait peut-être depuis un certain temps. C’est moins la découverte de Barbe et sa terrible scène qui les séparaient que leurs volontés déjà disjointes. Ainsi les événements ne sont la cause de rien. Ils ne font que se conformer à nous-mêmes, extérioriser ce qui existait auparavant en nous. Ici, Dieu avait tout commencé. C’est lui qui triomphait.

Godelieve eut le courage de la séparation :

— Adieu, Joris, fit-elle, une dernière fois ; je prierai Dieu “pour nous”.

Sa voix avait faibli sur les derniers mots, qui eurent l’air de se décolorer, de défaillir, de se mouiller, comme si des larmes intérieures les avaient atteints.

Elle s’achemina vers la porte et ses pieds remuèrent des débris, toute une ruine qui craqua