Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/256

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Bruges, et, sous prétexte d’y toucher à peine, la broyer toute avec ses dents de fer.

Borluut s’exaspéra, se multiplia. Il n’était pas sans s’étonner un peu lui-même de son zèle belliqueux. Comment en arriva-t-il à ces attitudes de combat, ces paroles âpres, ces défis, ce continuel branle-bas comme d’un appel aux armes, lui qui était un homme de silence, de passé et de rêve ? Mais est-ce que, précisément, il ne défendait pas son Rêve ? Son Rêve, cette fois, s’était identifié avec l’Action, l’Action passionnante et frénétique, non plus l’Action contre un ennemi ou des adversaires, mais l’Action contre la Foule.

La Foule apparaissait une, par ignorance ou indolence. Il était seul. N’est-ce pas ce combat que livrent tous les hommes supérieurs, d’être soi contre tous ? Il leur faut triompher de l’unanimité, qui d’abord les nie. La beauté de Bruges (dans laquelle il avait une part de collaborateur), était aussi une œuvre d’art, qu’il s’agit d’imposer. Mais par quels moyens ? De quelle manière vaincre une Foule ? Comment aller soi-même de l’un à l’autre, ouvrir de ses seules mains tous les yeux qui sont aveugles ?

Victoires éparpillées !

Un jour, Borluut espéra se rencontrer avec la Foule elle-même. Comme il avait incriminé dans les gazettes ce système d’intrigues obscures et d’une campagne menée en cachette, la ligue de Bruges-Port-de-Mer y répondit en faisant appel à tous, en convoquant