Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/303

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haut qu’eux et comme on doit les envisager de l’Éternité. Qu’est-ce qu’il imagina donc de vouloir faire régner la Beauté ? Sa ville l’avait en quelque sorte banni pour avoir osé prétendre lui imposer son idéal et ne pas penser comme elle. Aujourd’hui, il était seul.

Mais il goûta dans l’isolement une espèce d’ivresse, une volupté sombre. Est-ce que le beffroi n’était pas seul aussi, au-dessus des demeures ? Le beffroi était plus grand qu’elles, parti plus haut à la conquête de l’air. En y montant, Borluut s’élevait aussi haut ; il devenait lui-même le beffroi, s’en entourait comme d’une armure à sa taille. Solitaires joies de l’orgueil, qui surplombe et regarde au loin !

L’automne revenait, l’automne qui est temps de brouillard en Flandre. Borluut s’en réjouit. C’était plus d’isolement encore dans la tour, de nouveaux rideaux s’épaississant autour de lui et lui cachant la vie, qu’il commençait à abhorrer. Seule, au loin, la Nature éternelle, avec son aspect monotone de plaines, d’arbres et de ciel, l’attirait encore, communiquait avec lui. Quant à la ville, disséminée au pied du beffroi, il ne voulait plus la voir. Il y avait trop souffert. D’ailleurs, il ne la reconnaissait plus, déjà dénaturée par des architectures fausses, des innovations modernes et le péché de sa vanité qui croissait en elle.

Bruges était en proie à d’autres. Elle le quitta, comme Godelieve !