Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/331

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ches, treize seulement. Il songea au chiffre fatidique au moment où il allait s’y engager. Mais, cette fois, il n’hésita plus, entra résolument dans le nombre qui garde la mort. Il avait hâte. Les grandes cloches apparurent ; elles surplombaient, éternelles inquiètes. Un frémissement sans fin y grondait. Borluut revit la cloche de Luxure. Il la regarda comme son Examen de conscience. Elle avait été le péché des cloches et le péché de sa vie. Pour l’avoir écoutée, il s’était perdu. Il avait cédé à la tentation de la chair, au piège de la femme. Il aima des corps au lieu de n’aimer que la ville. Et, pour avoir trahi son idéal, il n’en verrait pas l’accomplissement, à cette minute où il allait mourir. Il songea à la fin extasiée de Van Hulle. « Elles ont sonné ! » Lui ne verrait pas la beauté de Bruges réalisée, puisqu’il ne l’avait pas poursuivie exclusivement. Ce fut la faute de la cloche obscène, qui toujours l’obséda. En ce moment même, elle l’appelait. Elle voulut le tenter encore, et au pire : la corde est comme une amante ; elle fait la mort elle-même, voluptueuse ; qu’il meure donc parmi sa robe de bronze, mêlé à l’antique orgie…

Borluut eut horreur, se détourna.

La cloche auguste qui sonne l’heure, s’offrait, un peu plus loin, immense, ténébreuse, muet abîme, qui l’absorberait tout. Il sentit que c’était le but, et hâta les préparatifs, calme, pensant à Dieu, minutieux et prompt, bourreau de lui-même.