Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chambre où aboutissent, à ce cylindre, tous les fils de communication des cloches. Borluut regarda, étudia. Il lui semblait voir l’anatomie de la tour. Tous les muscles, les nerfs sensitifs étaient à nu. Le beffroi prolongeait en haut, en bas, son vaste corps. Mais ici, se groupaient les organes essentiels, son cœur palpitant, qui était le cœur même de la Flandre, dont le carillonneur comptait, en ce moment, les pulsations parmi les rouages séculaires.

La musique s’exalta, brouillée d’être trop proche. Ce fut joyeux cependant comme une aube. Le son courut sur toutes les octaves comme la lumière sur tous les prés. Une petite cloche eut des grisollements d’alouette ; d’autres ripostèrent par l’éveil de tous les oiseaux, le frisson de toutes les feuilles. Une basse fut le beuglement profond des bœufs… Borluut écoutait, mêlé à ce réveil de campagne, déjà familier avec cette musique pastorale, comme si c’eût été celle de ses bêtes et de son champ. Joie de vivre ! Éternité de la Nature ! Mais l’idylle avait à peine chanté que, résorbant toute la fête du carillon, la grosse cloche tinta, grave, sonnant la mort de l’heure : onze coups, vastes, lents, distants l’un de l’autre, comme pour montrer qu’on se sent seul quand on meurt…

Onze heures. C’était le moment pour Borluut d’inaugurer ses fonctions. Il retourna dans la cabine où était le clavier pour l’autre jeu, et s’y installa. Mais, nouveau, et entré par hasard dans le métier,