Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/46

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repas, son coucher, son lever, toujours à heures fixes, s’arrangeaient de ces minuties.

— Tiens, je retarde de cinq minutes, faisait-il, dépité.

Il prenait soin désormais que sa montre et les horloges de sa demeure fussent toujours d’accord, non seulement la petite pendule Empire aux bronzes en cous de cygnes, mais l’horloge de la cuisine au cadran peint de tulipes rouges que sa vieille servante Pharaïlde consultait pour les occupations du ménage.

Dans ses flâneries de convalescent, un vendredi, jour de marché, qu’il s’attardait parmi les échoppes de la Grande Place, il aperçut par hasard une horloge flamande, un peu bizarre, qui attira son attention. Elle était à demi cachée, presque ensevelie dans le tohu-bohu de vieilleries qui jonchent le pavé.

On vend de tout à ce marché : de la toile, des cotonnades, des objets de fer, des instruments aratoires, des jouets, des antiquités. Pêle-mêle bariolé, comme d’un déménagement de siècles ! Les marchandises sont entassées, semées en désordre sur le sol, toutes couvertes encore de poussière accumulée, comme provenant d’un inventaire, de la maison d’un absent qui fut longtemps close. Tout est vieux, oxydé, rouillé, fané, et serait laid sans le soleil intermittent du Nord qui brusquement y allume des clairs-obscurs, les ors roux de Rembrandt. C’est parmi ces ruines, dans ce cimetière des choses, que