Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/75

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— Vous voudriez changer de vie ? reprit-il, après un silence… Sa voix hésitait, un peu haletante comme d’une course, exactement rythmée selon la mesure de son pouls, selon le battement de son cœur qu’il entendait palpiter à coups distincts.

— Oh ! oui, fit Barbe, qui ne cessait pas de le regarder.

— Eh bien ! ce serait facile, continua Joris…

Barbe ne répondit plus ; elle avait baissé les yeux, un peu gênée, anxieuse, comprenant le jeu décisif, la minute où tout se décide. De ce qu’elle fût soudain devenue plus pâle, malgré son teint toujours mat, la bouche parut plus rouge.

Son attitude consentait…

Alors Joris n’y tint plus ; il se sentait incapable de trouver encore d’autres paroles. Soudain, tout contre elle, il lui prit les mains, qu’il maintint le long du corps, et, d’un élan, dans une audace folle, sans savoir pourquoi, trop tenté décidément par cette bouche, il y jeta ses lèvres, en communia, la mangea… Eucharistie de l’amour ! Hostie rouge ! Ne fut-ce pas vraiment une Présence réelle ? À cette minute, il la posséda toute sous les espèces de sa bouche, où elle fut résumée et transsubstantiée !

Quelques instants après, Van Hulle et Godelieve entrèrent ensemble, ayant fini enfin le rangement, le minutieux enlèvement de la poussière dans le Musée d’horloges. Ils ne s’étonnèrent point de trouver Joris avec Barbe. Il était un des familiers de la maison.