Page:Rodenbach - Le Carillonneur, Charpentier, 1897.djvu/81

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jeunes hommes, dans leur vie casanière d’orphelines. Et Borluut était séduisant, il avait réussi, une belle carrière s’ouvrait devant lui, son nom était populaire. Heureusement, tout finissait bien. Il n’avait été troublé que par Barbe et allait l’épouser. Van Hulle s’inquiéta un peu : pourvu, avec son caractère fantasque et irascible, cet écheveau de nerfs qui soudain se nouait en elle, embrouillait toutes ses idées et tout son cœur, qu’elle ne rendit pas malheureux ce noble Borluut qu’il aimait déjà comme un vrai fils… Mais le scrupule de Van Hulle dura peu : « Cela disparaît avec l’amour, ou passe avec l’âge », conclut-il, vite rasséréné, sauvé de son émoi, exultant, tout à la joie de penser que Godelieve lui restait, plus chère et comme convalescente de cette crainte de la perdre qui l’affola une minute.

— Surtout, recommanda Van Hulle, n’en parlez jamais à Godelieve — ni à Barbe non plus. Que ce soit mort en nous ! Que ce soit toujours comme si je ne vous avais rien dit, comme si rien n’avait été…

Borluut ne fit pas attention davantage à la confidence. Toutes les jeunes filles ont ainsi des troubles de cœur sans durée pour ceux qui les approchent. Essais de bonheur, ébauches dans de l’argile avant la grande statue de l’amour qui occupe la vie et s’assoit sur le tombeau. D’ailleurs il était tout entier à Barbe. Il se sentait lié envers elle. D’avoir effleuré