Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/125

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À Émile Verhaeren.





Les marins naufragés, debout sur leur radeau
Que berce et qu’enveloppe un lugubre bruit d’eau,
Cherchent à l’horizon l’aile blanche des voiles.
Quand le calme renaît, quand brillent les étoiles
Comme des lampes d’or sur leur tombeau mouvant,
Ils espèrent revoir le port au jour levant.
Vain rêve : le temps calme est pis que les tempêtes ;
Un soleil tropical tombe à pic sur leurs têtes,
Et leur épave humaine est inerte au milieu
De ce double infini qui semble tout en feu !…
La soif les brûle ; ils n’ont pas d’eau ; l’horrible fièvre
Met le sang à leurs yeux et la bave à leur lèvre ;
Les uns, moins endurcis et plus prompts à fléchir,
Boivent de l’eau de mer, croyant se rafraîchir,