Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/50

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Il n’avait plus qu’un seul parent, un antiquaire,
Son oncle, que pourtant il ne connaissait guère ;
Car c’est un misanthrope austère et glacial.
Mais ce vieillard avait pourtant le cœur loyal,
Et quand il sut la chose horrible, et la détresse
De l’enfant qui faisait sa plus douce caresse
A ces deux fronts jaunis sur le pâle oreiller,
Croyant par ses baisers pouvoir les réveiller,
Il sentit tout à coup la voix de la nature :
Il fallait recueillir la frêle créature
Et ternir dans son cœur comme un reflet dans l’eau
L’empreinte vague encor de ce hideux tableau.
Donc il se dirigea vers la demeure sombre,
Il monta l’escalier étroit, noyé dans l’ombre,
Puis entra dans la chambre où les vagues reflets
Du soleil s’infiltraient à travers les volets.
L’enfant dormait dans son berceau, la bouche close ;
Et comme il admirait sa tête blonde et rose
L’orphelin tout à coup, ouvrant ses petits yeux,
Bégaya « père « avec un sourire joyeux !…
L’oncle ne put alors dissimuler ses larmes
Et, prenant dans ses bras le bébé plein d’alarmes,
Lui dit en le couvant d’un regard triomphant :
« Oui, je suis ton papa ! tu seras mon enfant !… «