Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/53

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Et qu’elle fredonnait en respirant l’air frais,
Il avait esquissé sous un rideau ses traits,
Car il habitait presque en face de chez elle.
Puis, comme pour payait sa fatigue et son zèle,
La douce enfant sourit en se tournant vers lui.
La lune dans le ciel printanier avait lui,
Et sous son rayon d’or ces deux sourires tendres
S’unirent comme deux ruisseaux aux longs méandres
Ou comme deux ramiers dans l’épaisseur d’un bois.
Depuis ils s’étaient vus et parlé quelquefois :
Le dimanche, il allait contempler à l’église
Ce front qu’une pieuse extase idéalise
Et lui frôlait la main devant le bénitier,
Comptant sur sa parole et vivant tout entier
Pour elle, en nourrissant la joyeuse pensée
De lui glisser au doigt l’anneau de fiancée !…

Hélas ! elle mourut, la seule qu’il aima !…
Et depuis cet instant funèbre il s’enferma
Loin du monde, pour mieux se rappeler son rêve,
Pour y penser toujours, et le revoir sans trêve !
A présent qu’il est vieux, qu’il va vers le tombeau,
Il n’a qu’un seul rayon, il n’a qu’un seul flambeau,
C’est ce portrait qui pend et qui la lui rappelle !…