Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/52

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Qui vous tirent la langue avec un air fripon,
Et des tableaux anciens peints sur toile et sur verre.

L’antiquaire était là, toujours grave et sévère
Dans son long paletot d’un drap noir et râpé,
Avec un bonnet grec sur la tête, occupé
A brosser, à souffler la poussière des vases,
A classer des émaux de valeur dans leurs cases,
A ranger dans les coins des petits riens charmants ;
Puis, comme s’il cédait à d’intimes tourments,
Il allait se placer devant la cheminée,
Regardant tristement toute la matinée
Et même aussi le soir aux rayons d’un quinquet
Un petit médaillon de verre très coquet.
C’était un mince et doux profil de jeune fille
Aux longs cheveux de jais que le vent éparpille
Comme un frange noire autour de son front blanc.
Un soir dans la tiédeur du renouveau troublant,
Il la vit accoudée au bord de sa fenêtre,
Et dès la première heure il crut la reconnaître
Comme un frère exilé qui retrouve une sœur
Tant elle rayonnait de grâce et de douceur.
Il n’avait que vingt ans et l’aima tout de suite ;
Et tandis que le jour accélérait sa fuite