Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/65

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L’intime du bourgmestre et l’ami du vicaire ;
Et malgré son état de fortune précaire,
Le bon petit ménage heureux s’en contentait.

Comme ils avaient beaucoup d’enfants, dès que l’aînée
Eut atteint à peu près sa dix-huitième année
On voulut l’envoyer pour un temps à Paris ;
Car leur vieille cousine, aimable et prévenante,
L’y mandait instamment pour être gouvernante
Chez de riches bourgeois qui la paieraient bon prix.

Marthe avait la beauté sanguine des Flamandes
Dont la chair se durcit au grand souffle des landes :
De gros cheveux tressés, plus blonds que des épis,
Un œil large, un teint rouge, une lèvre lascive,
Un corsage tendu sur une gorge massive
Dont un fichu cachait les rythmes assoupis.

Pieuse, tous les jours elle allait à la messe ;
Et tandis qu’on dansait les soirs de la kermesse
Au bruit des violons sous les chênes touffus,
Et qu’en fraîche toilette et des fleurs au corsage
Les autres en riant l’invitaient au passage,
Elle leur répondait toujours par un refus.