Page:Rodenbach - Les Tristesses, 1879.djvu/96

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Elle aimait, douce mère aux plaisirs ingénus,
Prendre en main ses deux pieds tout roses et tout nus,
Les mordre, les presser, les cacher dans sa robe
Comme des fruits vermeils et mûrs que l’on dérobe !
Le blondin commençait à faire quelques pas
Quand on le soutenait par le dessous des bras.
Rieur, il chancelait comme s’il était ivre
Du ciel dont il venait, ne commençant qu’à vivre,
Et gardant un mystique et singulier reflet
De sa première ivresse et de son dernier lait !

Sa mère le suivait pas à pas, et tremblante,
Tâchant de ralentir sa marche turbulente,
Fatiguée, et fixant ses regards assoupis
Sur le petit marcheur tombé sur le tapis.
Elle croyait déjà dans son orgueil de mère
Le voir grand : son esprit poursuivait la chimère
D’un fils que le génie a marqué de son sceau,
Et devinait l’élu dans l’enfant du berceau !
O mères ! qui de vous n’a pas rêvé la gloire ?

Lorsque le soir tombait, dans la chambre plus noire
Qu’une lampe appendue au plafond étoilait,
La mère récitait un petit chapelet